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Le développement Amazonien et son impact sur la population |
+ A. Des rapports ville-campagne inscrits dans l'histoire du Brésil a. La ville, production des campagnes. Les mondes urbains et agricoles, au Brésil comme ailleurs, entretiennent d'étroites relations, bien plus complexes que ne voudrait le laisser penser une certaine vision dualiste ville-campagne des territoires. Les villes, en effet, sont au départ des lieux d'échanges des surplus alimentaires liés au développement de l'agriculture. Bien que ce phénomène soit particulièrement ancien (- 10 000 ans avant JC), il est toujours d'actualité. Pour autant, d'autres rapports se sont tissés au fil du temps. Le Brésil à été l'objet d'exploitation de ses ressources depuis sa découverte en 1500 par Cabral, cette exploitation donne naissance à des comptoirs, localisés le long des côtes, aux alentours de Salvador de Bahia dans un premier temps. La première « ville » brésilienne est Sao Vicente (état de Sao Paulo), et les rapports ville-campagne prennent toute leur importance au XVIIe siècle avec la culture de la canne à sucre dans l'état du Pernambouco. Recife, par exemple prospère alors grâce au marché du sucre, dont le Brésil est encore aujourd'hui le premier producteur mondial. . Le système agricole brésilien va quelquefois lui même se transformer en ville, puisque les estancias, en se spécialisant à l'extrême, vont quelquefois importer des biens, attirant des commerces, de l'artisanat, voir une proto-industrie rurale. Ce type de production spécialisé, que l'on retrouve à l'échelle nationale (économie des cycles), nécessite également des ports proches, qui vont ainsi se multiplier et se fractionner le long de la côte, donnant encore une fois naissance à des villes. L'agriculture, mais aussi toutes les autres formes d'exploitation des ressources naturelles des différents cycles de l'économie brésilienne vont impacter sur les formes urbaines du pays, voir créer des villes d'une grande importance, comme Manaus, qui s'est développée autour de l'exploitation du caoutchouc. b. Les politiques agricoles et leurs conséquences urbaines. Plus récemment, les politiques de réformes agraires, et les grands travaux de colonisation de la deuxième moitié du XXe siècle ont impacté encore une fois profondément les formes urbaines. L'institut national de colonisation et de réforme agraire (INCRA), est le principal artisan de ces changements. Il va porter la création et le développement des fronts pionniers vers l'Amazonie et créer un système urbain entier. Ce phénomène de conquête se poursuit encore aujourd'hui. Brasilia, imaginée par Lucio Costa et Oscar Niemeyer est un autre exemple significatif des modifications urbaines durant cette période. Sans être une question agricole, l'implantation de la ville au milieu de l'Amazonie avait dans ses objectifs de participer à la colonisation agricole de la forêt. Grâce (ou à cause) de ce système de production performant, le Brésil attire alors de grandes multinationales qui vont se baser dans les grandes villes. À partir de là, elle vont influer à leur tour sur les cultures alentour, provoquant la plupart du temps une spécialisation plus forte. Avec la fin de la dictature militaire en 1985, le Brésil entre dans la démocratie, mais la colonisation continue, et l'agriculture continue de s'étendre, même si les voix des associations écologistes se font ressentir. Aujourd'hui, le Brésil est l'un des principaux exportateurs agricole, et les cultures extensives de soja et de canne à sucre prennent des dimensions de plus en plus importantes. + b. L’urbanisation dans les fronts pionniersLes fronts pionniers ont été l'un des fers de lance des principaux cycles de l'économie brésilienne depuis leur développement. Que ce soit pour les produits miniers ou l'agriculture le système appliqué est similaire du point de vu des formes spatiales produites. a. Le volet urbain des grandes politiques de colonisation. L'INCRA avait prévu un réseau complet de petites villes constitué d'agrovila, agropolis, et ruropolis (du plus petit au plus important). Le système devait s'articuler autour de cette hiérarchie, suivant des plans très simples : rectiligne, en arrête de poisson, étoilée, réticulée, ou en damiers. Ces plans fonctionnels devaient avant tout assurer l'intégration socio-économique du projet intégré de colonisation (PIC). Mêmes les limites administratives concordaient puisque des regroupements de ces ensembles devaient former des municipes. L'échelle de ces ensembles est sans commune mesure avec notre urbanisation européenne. L'espace disponible est immense, et à l'agriculture extensive qui a déjà été traitée, s'ajoute une urbanisation également extensive, tant dans son armature entre les pôles qu'au sein des pôles eux mêmes. On rencontrait ainsi une agglomération rurale (agrovila) tous les 10 km, comprenant une école, un poste de santé et des commerces. Ces mini-villes devaient permettre de loger quelques centaines de familles de colons. Chacune d'entre elle était doté d'un lot agricole de 100 ha et un lot résidentiel de 1.500 à 3.000 m² (25/120m le plus souvent), situé dans l’agrovila la plus proche de son lot agricole. Chacune de ces agrovilas se trouvait dans l'aire d'une agropolis prévue pour 3 000 habitants tout les 50 km environ. Ces dernières devaient assurer des services d'un niveau supérieur, comme le siège de la coopérative, la poste, le collège, ou l'hôtel. Enfin, une ruropolis encore plus grande devait, tout les 100 km, regrouper des activités industrielles et commerciales de grande importance. Les paysans qui s'y installaient, dont une forte proportion de jeunes, avaient pour objectif principal la recherche d'une meilleure vie. La plupart des « sélectionnés » étaient en effet pauvres, et fuyaient les conflits sociaux du Nordeste, (prémices des mouvements des sans-terre), dont certains migrants faisaient partie, pour trouver des terres. C'est ce qui était prévu par l'état, car l'ouverture de ces fronts pionniers devait également permettre de soulager la situation de cette région, en plus de coloniser l'Amazonie. Malgré ces schémas fonctionnels, les infrastructures inadaptées de ces formes urbaines n'ont pas permis une grande réussite du projet. En effet, dans un premier temps, l'INCRA interdisait aux agriculteurs de construire sur leur parcelles, et ceux-ci devaient construire dans les agrovilas somme toute éloignées de leurs exploitations. Ces mêmes agriculteurs, habitués à vivre à la campagne, n’acceptent pas non plus le regroupement de l’habitat. Certains n'étaient même pas agriculteurs du tout, et la plupart des migrants ne venaient pas de l'Amazonie.![]() Région d’origine des immigrants d’Uruarà (Source :enquête IRD) b. Retrait de l’état : libéralisation et privatisation des fronts pionniers. Ce modèle de développement de la colonisation amazonienne s'est arrête en 1974. La politique du gouvernement change, et la colonisation pour les petites surfaces agricoles est laissée à des « entreprises privés de colonisation ». Les populations pauvres sont alors écartés pour l'obtention de ces nouvelles terres, et les producteurs qui les possèdent ne vivent pas dans les fronts pionniers, et encore moins dans les périphéries. Ils engagent également peu de main d'œuvre avec l'introduction des machines agricoles. Parallèlement à cela, l'état attribue les autres espaces disponibles aux éleveurs, bovins principalement, qui y constituent des faziendas. La population locale ne trouve alors plus de débouchés, et s'en suit une paupérisation importante dans les zones urbanisés. Ainsi, des posseiros s'y sont installés en occupant des espaces apparemment libres, le plus souvent situés au delà des fazendas, c'est à dire parfois à plus de 50km des centres habités, mais qui auraient dû êtres réservées aux éleveurs. Ils espéraient ainsi voir l'INCRA leur reconnaître la possession légale de ces terres. Les municipes se sont alors révélés incapables de proposer des infrastructures de premières nécessité telles que des routes, des écoles ou des postes de santé pour des populations aussi dispersés. Évidemment, sur ces terres éloignés de tout, seul la culture de subsistance est possible (manioc, riz...), et les posseiros s'ouvrent parfois leurs propres routes, de manière tout à fait illégale. Cela pose alors problème lorsqu'il s'agit de les déloger. Il est ici intéressant de noter que l'apparition de l'élevage dans ces zones est en partie rattachée à l'apparition d'une demande locale, liée à l'urbanisation de l'Amazonie. De plus, en se retirant du programme, l'état va le mettre en veille, et laisser un flou encore plus important quand à la régulation foncière dans cette région. Le manque de contrôle notamment, de la part des autorités est particulièrement responsable. Ce contexte foncier confus n'a pas non plus permis une urbanisation saine. Aux problèmes de pauvreté, de conditions sanitaires, de délinquance et de prostitution s'ajoutent donc les tensions entre Posseiros et éleveurs, qui sont parfois particulièrement rudes dans les villes des fronts pionniers, au point qu'on y parle de la « loi du 30/30 » (modèle de carabine Winchester). Sa décision d'arrêter de soutenir l'exportation va elle aussi être lourde de conséquences. En laissant derrière lui un système social et un ensemble d'infrastructures insuffisantes pour continuer à exporter et pour maintenir des fonctions urbaines de premier ordre, les villes de ces régions déjà isolées vont s'enfoncer encore un peu plus dans la misère. c. Fin du rêve et nouvelle donne. Ce mode de déclin perdure jusqu'à la fin des années 80, date à laquelle le mythe de l'agriculteur producteur de richesses et bâtisseur du pays, construit par l'état et ses grandes opérations, s'écroule, précipitée par la dénonciation des méfaits de la colonisation agricole sur l'environnement, et avec la crise de l'effondrement des cours du poivre et du cacao. Ces cultures étant les deux principales richesses exportées, l'ensemble du système s'écroule, de la production à l'exportation, en passant par le séchage et le conditionnement. Les images que se font la population de la ville et de la campagne s'en trouvent profondément modifiées, et donc leur organisation même. Les migrations de cette époque, qui découlent de ces changements de représentations, vont être un facteur puissant de reproduction des modèles spatiaux et sociaux, dans les centres des villes du réseau de colonisation, mais également dans les favelas des grandes villes côtières. Un exemple frappant est la tendance des posseiros à occuper des terres illégalement dans les périphéries des grandes villes comme ils le faisaient sur les fronts pionniers. Vers la fin des années 90, avec la redistribution des fazendas improductives aux familles pour l'agriculture, la population paysanne locale retrouve du travail, et des migrants sans-terre arrivent également. Des promesses sont faites quand à la construction d'infrastructures et au goudronnage des routes, mais on ne note encore rien de vraiment significatif. Malgré la volonté de redistribuer les terres, la concentration foncière du pays reste parmi les plus élevées du monde. On considère que Les exploitations familiales représentent 67 % des exploitations, mais seulement 13 % des surfaces. À l'inverse, 1% des exploitations concentrent 45% des terres. Ainsi, les fronts pionniers sont aujourd'hui le plus souvent des lieux d'extrême pauvreté, avec toutes les conséquences sociales et urbaines qui en découlent. Le manque d'investissement de l'état en matière d'infrastructure n'est compensé ni par les grands propriétaires, ni par les municipalités, déjà incapables d'assurer le maintien d'activités et de services de base à une population hétéroclite et migrante. d. Réception de ces dynamiques dans le réseau urbain amazonien. L'organisation de l'armature urbaine amazonienne à une échelle plus large garde encore les traces de cette colonisation et de son évolution. C'est particulièrement frappant autour de la transamazionienne. Ce maillage est encore aujourd'hui particulièrement important puisque c'est généralement le long des grands axes routiers que vont encore s'effectuer les échanges commerciaux, mais aussi les migrations.![]() Les villes et les fronts pionniers le long de la transamazonienne dans l'état du Parà. Les principales villes, Altamirà et Itaituba, étaient déjà développées avant la colonisation de cette partie de l'Amazonie. Elles concentrent encore aujourd'hui les principales fonctions urbaines. Les villes créées dans le cadre de la colonisation, comme Ruròpolis ou Uruarà, sont aujourd'hui en fort déclin, et leurs populations délaissent l'agriculture pour la ville centre, les centres régionaux, ou les métropoles brésiliennes, signe de l'échec de la politique du gouvernement. (source : Google Earth). |